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Quinzièmes Journées Internationales de Sociologie du Travail (JIST)
Athènes - 11-12-13 mai 2016
Appel à communications
« Crise(s) et mondes du travail »
Elément anthropologique au cœur des civilisations humaines, le travail, dans ses formes sociales, se transforme avec les dynamiques du capitalisme. Il est ainsi lié aux crises que celui-ci traverse de façon récurrente. Le terme de « crise » possède une dimension historique, au sens de changement qui s’opère au fil du temps et qui, dans une certaine mesure, peut conduire à ce que les historiens nomment « la rupture historique ». Comment comprendre l’impact de ces crises dans l’histoire des mondes du travail ? Comment leurs dynamiques et les dynamiques sociales qu’elles engendrent contribuent-elles à structurer et déstructurer les mondes du travail ? Qu’en est-il particulièrement de la période actuelle ? Quelles leçons tirer du passé ?
La notion de crise, aujourd’hui réactivée, constitue une référence amplement mobilisée pour penser des changements qui, avec la globalisation, concernent le monde entier. Avec la représentation communément admise selon laquelle nous serions entrés dans une crise en 2007, -particulièrement révélée par sa qualification de « grande récession » par les historiens -, cette notion trouve une nouvelle actualité tout à la fois comme catégorie de la pensée et catégorie de la pratique pour de nombreux acteurs sociaux. Mais quel sens donner à ce terme de crise, par ailleurs largement mobilisé, et depuis longtemps, en sociologie du travail ? Faut-il même continuer de l’utiliser dès lors que l’on admet que la situation actuelle trouve son origine dans une rupture datant d’une quarantaine d’années ? En effet, on serait tenté de considérer que, depuis le milieu des années 1970, nous vivons une succession de crise(s) dans la crise (sous-entendu du fordisme, ou du capitalisme), c’est-à-dire un continuum de changements structurels. Ainsi, les impacts de la et/ou des crise(s) que traversent les sociétés européennes depuis les dérèglements financiers majeurs survenus en 2007 (crise financière, de la dette, bancaire, mais plus largement crise économique et sociale) viennent se combiner aux changements qu’ont accompagnés les politiques et réformes mises en œuvre bien antérieurement. C’est sur la dernière décennie - appréhendée ici comme continuité de tendances engagées de plus longue date mais dont on fait l’hypothèse qu’elle comporte des caractéristiques et effets propres (effets de rupture, d’accélération ?)- que les JIST 2016 proposent de se pencher.
Dans la situation qu’ils traversent, les pays européens voient se poursuivre les processus de déstructuration des mondes du travail tels qu’ils s’étaient constitués après la seconde guerre mondiale. S’y joue le démantèlement des régulations qui sécurisaient ces mondes qui, désormais, sont appelés à se soumettre aux implications de la nouvelle phase de mondialisation et des politiques néo-libérales qui l’accompagnent. Mais, au-delà du constat et de l’analyse des formes que prennent ces décompositions, ne faut-il pas observer plus avant les dynamiques en cours en se donnant les moyens de repérer ce qui se reconstruirait potentiellement, tant au plan du travail que de celui d’un changement social d’ensemble ? Si on se réfère au passé, la crise des années 1920-1930 constitue un moment clé et demeure une référence centrale dans le répertoire des faits et des représentations des crises. Mais aussi dramatique qu’elle ait été, elle a alimenté des compromis et conduit à des restructurations fondamentales, à tout le moins dans les pays occidentaux. Ainsi, le New Deal, le consensus social-démocrate, le compromis fordiste, - autant d’expressions qui évoquent les formes dominantes de régulation du travail et de la relation salariale des décennies passées -, relèvent, aussi, de dynamiques qui en sont issues. Ne faut-il donc pas considérer la crise actuelle également sous l’angle de nouvelles opportunités ?
Dans le cadre de cette problématique générale, les JIST 2016 font une ouverture particulière vers les pays du sud. La co-organisation LEST / KEKMOKOP – avec le soutien de l’Association Hellénique de Politique Sociale – et la tenue des journées à Athènes marquent cette volonté. Ouverture, tout d’abord, vers les pays d’Europe du sud particulièrement confrontés aux effets de la crise sous la forme des régimes d’austérité qui y ont été mis en place mais aussi théâtres de mobilisations sociales inédites. Ces pays ne constituent-ils pas, d’ores et déjà, des « laboratoires de la crise » dans lesquels s’expérimentent de nouvelles normes et de nouvelles réalités du travail ? Ouverture, ensuite, vers les pays de la rive sud de la Méditerranée, eux-mêmes traversés par des crises spécifiques, dans lesquels les interdépendances avec les pays du nord s’accélèrent (circulation des biens, des capitaux, des personnes…) et affectent directement les formes de mises au travail (salarisation, travail informel, migration…). Plus largement ouverture vers les pays et continents, qui comme certains pays d’Amérique latine, d’Afrique ou d’Asie, ont expérimenté de longue date crises et ajustements structurels. Qu’ont-ils à nous apprendre ? Quelles leçons tirer de leur expérience ?
Dans ces 15e JIST, il s’agira tout à la fois de prendre au sérieux, pour les interroger et les documenter, tant la notion de crise que les réalités qu’elle recouvre au regard des problématiques du travail, dans un double mouvement de décomposition et de recomposition. L’attention sera notamment portée aux usages scientifiques et sociaux de la notion de crise, à sa construction et à ses formes empiriques, qu’elles soient analysées/qu’elles se manifestent en termes de classe, de genre, de race ou de génération.
L’appel propose de décliner ces questionnements dans différents axes qui reprennent les principaux objets et thématiques de la sociologie du travail. Peut-on penser la crise comme analyseur, révélateur, accélérateur des tendances qui y sont à l’œuvre, et comment ?
Axe 1. Le-s Nord-s et les Sud-s au prisme de la crise
Les pays sont confrontés aux processus en cours en fonction d’histoires, de contextes et de temporalités qui leur sont propres. Les crises contribuent tout à la fois à homogénéiser et à différencier les pays, entre eux mais aussi en leur sein. Dès lors, on peut s’interroger sur les caractéristiques du « modèle européen de travail » et sur ce qu’il en reste dans le contexte actuel. En particulier, comment les orientations des politiques de l’Union Européenne en direction des pays du sud de l’Europe viennent-elles s’articuler aux variantes très différentes de ce modèle entre pays du nord et du sud ? Dans quelle mesure les pays sous Mémorandum (Grèce, Portugal, Espagne, Irlande) constituent-ils des zones spécifiques où émergeraient de nouveaux « mondes du travail » ? Des alternatives et des innovations sociales y sont-elles en construction ? Quelles contestations, quels mouvements sociaux, quelles formes de mobilisation et de résistance se font jour ? Quelles sont les bonnes échelles pour observer ces processus ? Les phénomènes de migration, de mobilité et de circulation intra et extra-européennes comme réponse et stratégie des populations face à la crise sont-ils des facteurs de recomposition des relations entre nord et sud ? Toutes ces questions doivent se penser dans le cadre de nouvelles dynamiques et de nouvelles interdépendances qui se dessinent tant au niveau européen que mondial.
Axe 2. Travail et emploi : entre décomposition, recomposition et opportunités
Chômage, sous-emploi, précarisation, informalisation et flexibilisation de l’emploi sont parmi les aspects les plus visibles des crises. On s’intéressera à la manière dont les différentes facettes de la condition salariale sont affectées, incluant la question des salaires, des conditions de travail et de la protection sociale. On prendra en compte le rôle joué par les transformations du droit du travail et de ses usages, tant du côté du contrat de travail salarié que du travail indépendant et des recompositions de leurs frontières. On se demandera dans quelle mesure se modifient les dynamiques globales des inégalités de revenus à l’échelle macro-sociale comme à celle du salariat et de la population active, ainsi que des grands clivages sociaux (classe, genre, race, générations…). Pouvons-nous envisager que se joue là un renouvellement du salariat, mais qui s’opèrerait par le bas, dans le cadre d’une polarisation croissante des populations actives ? Il faudra sans doute distinguer les secteurs directement affectés par la crise de ceux qui restent dynamiques (services à la personne, services fonctionnels des activités hautement qualifiées et de hautes technologies,…) Si les logiques de sélectivité se traduisent par la fragilisation de catégories spécifiques de main-d’œuvre (jeunes, femmes, seniors, migrants, main-d’œuvre peu qualifiée…) contraintes d’accepter des conditions d’emploi dégradées, a contrario n’y a-t-il pas des gagnants de la crise, des catégories qui en sont peu affectées ou, encore, qui en tirent profit ? Les expériences du chômage et de la précarité ne sont-elles pas parfois des vecteurs d’innovation dans les formes d’activité ou dans les usages sociaux d’activités plus traditionnelles ? Comment évoluent les combinaisons entre activités « informelles » et « formelles », notamment dans les pays du sud dans lesquels les premières sont historiquement massives, même si des dynamiques de salarisation et de formalisation d’activités informelles – par exemple au travers de l’incitation à la déclaration d’emplois domestiques – y sont en cours ? Au final, qui vit quelle crise et comment?
Axe 3. Recomposition des professions dans la crise ?
La division du travail a permis à certaines activités d’être regroupées pour être exercées sous des labels spécifiques, donnant à ceux qui les exercent une certaine visibilité sociale en tant que profession. Parmi ces « professions », certaines ont acquis, au fil du temps et des luttes pour la définition de leur périmètre d’activité et pour leurs modes de régulation interne, des statuts protecteurs. Les professions, et en particulier les professions établies bénéficiant de telles protections, sont-elles à l’abri de la crise du fait de leur statut, ou bien au contraire, ce statut paraît-il si exorbitant en temps de crise qu’il est susceptible d’être remis en cause ? L’examen des effets de la crise doit être mis à l’épreuve empirique de la diversité des situations habituellement regroupées sous le label de profession, dans diverses situations nationales ou internationales. Chaque cas présente sans doute sa complexité. Ainsi la profession médicale, présentée comme archétypique des professions établies se trouve relativement protégée économiquement, mais la crise du financement de la protection sociale en fait une cible de réformes contre lesquelles une partie de la profession se mobilise régulièrement. De quelle manière, avec quelles éventuelles concessions, se maintient ou pas le pouvoir des professionnels dans la crise ? Sans doute disposent-ils d’arguments différents, suivant qu’ils peuvent apparaître ou non comme directement impliqués dans la crise, comme l’ont peut-être été les professions de la banque ou de la finance. Inversement, dans des secteurs mis sous tension, mais susceptibles d’apparaître d’autant plus cruciaux à maintenir, comme le social, l’éducation ou la santé, les professions disposent d’arguments, en même temps qu’elles sont menacées par la crise des finances publiques. La professionnalisation en cours de certains groupes est-elle empêchée ou au contraire accélérée?
Axe 4. Organisation et contenu du travail
Les crises ont des effets sur le travail (organisation, conditions, contenu, sens, activité, santé). Pèsent-elles nécessairement dans le sens du durcissement des contraintes auxquelles sont soumises les activités salariées, ou peut-on repérer des secteurs ou des zones dans lesquels les dynamiques sont plus contrastées ? Que fait à l’organisation du travail le développement du lean management, du benchmarking ou du Nouveau management public ? Quels sens donner à l’extension de formes indépendantes d’activité : répond-elle uniquement à un recul du salariat ou accompagne-t-elle aussi la reconnaissance nécessaire de nouvelles normes de l’efficacité productive, notamment dans des mondes du travail à composantes cognitive, subjective et servicielle accrues ? Il sera utile de distinguer plusieurs types de liens entre crises et travail : impact des dynamiques financières et économiques, usages rhétoriques dans le sens d’une légitimation des changements, et effets en retour des dégradations du travail et de la santé au travail sur les performances productives. Les crises offrent également des opportunités pour réactiver l’initiative salariale, par exemple au travers de la reprise d’entreprises sous forme de coopératives. On sera attentif ici à la transformation de la composition des tissus productifs et des modes d’organisation, notamment à travers les caractéristiques selon lesquelles se poursuivent la tertiarisation et les mouvements de restructuration des entreprises dans le capitalisme financiarisé. En quoi le contexte de crise reconfigure-t-il potentiellement ces processus ? Quels effets sur les conditions d’emploi et les qualifications ?
Axe 5. Politiques publiques, action publique
Quel est le rôle joué par l’action publique dans la reconfiguration des marchés du travail nationaux et européens? On questionnera le rôle direct et indirect qu’y jouent les organismes internationaux et des idéologies néo-libérales qui leur servent souvent de référentiels, l’évolution du droit et du droit du travail – sous l’angle des déréglementations mais aussi de l’émergence de nouvelles régulations, par exemple au niveau des relations entre les employeurs et les organisations syndicales. Il serait utile aussi de s’interroger sur la façon dont, dans l’orientation des politiques comme dans les décisions prises dans les entreprises, la rhétorique de la crise constitue un mode de justification et de légitimation des changements structurels. Les politiques publiques se déclinent à une série d’échelles qu’il convient de distinguer quand il s’agit d’étudier leurs implications sur le travail et l’emploi. Mais les politiques de l’emploi dans la crise peuvent aussi s’observer d’ « en-bas », dans les services tels que le Pôle Emploi en France par exemple.
Axe 6. Travail et activités hors emploi
La crise redistribue-t-elle, et comment, les cartes entre travail et « hors travail » ou, dans une perspective plus matérialiste, comment affecte-t-elle les multiples activités de (re)production dans les différentes sphères de la vie (professionnelle, familiale, bénévole, militante, artistique, amicale, amoureuse...), et leurs rapports ? Peut-on mesurer les effets de la crise économique sur le travail domestique, ses modes de répartition sexuée et ses processus de délégation? La crise économique produit-elle, et si oui pour quelles catégories de la population, des formes de réinvestissement de la vie familiale et domestique, ou, au contraire de la vie publique ? Comment évoluent les pratiques militantes et bénévoles face à la dégradation du marché du travail ? Au-delà de la « crise » et des questions qu’elle pose au système capitaliste, n’assiste-on pas à une revalorisation, dans les discours politiques mais aussi dans les travaux sociologiques, de nouvelles formes d’organisations sociales de l’activité, hors emploi, qui réinvente des façons de travailler ? Quelles sont ces formes et leurs significations dans l’évolution du travail contemporain ?
Axe 7. Adaptations, résistances et mobilisations
Les crises sont aussi une crise profonde de la représentation politique et des engagements militants. Celle-ci prend parfois la forme d’une défiance de masse envers les élites dirigeantes, les institutions politiques et, plus largement, les corps intermédiaires chargés de représenter les salariés et les citoyens. Dans la plupart des pays, aux formes plus classiques et organisées de résistance et de mobilisation collective suscitées par les crises, se sont ajoutées et combinées à la fois des formes d’entraide, de secours et de solidarité pour compenser la défaillance des structures publiques, et des formes de mobilisation citoyenne inédites, souvent portées par une jeunesse diplômée. Ces dernières ont souvent été vues comme étant en rupture radicale avec les mondes du travail en général, et les syndicats en particulier. Est-ce réellement et partout le cas ? Plus largement on s’interrogera sur ce qui se (re)construit comme potentielles alternatives sociales et sur la façon dont celles-ci sont portées. Dans quelle mesure les droits de représentation des salariés et des citoyens sont-ils mobilisés pour faire valoir ces alternatives ? Jusqu’où assiste-t-on à un renouvellement des pratiques, favorisant l’expression plus systématique d’une démocratie directe ? Voit-on apparaître ici ou là, à différentes échelles, avec quels impacts, des compromis socio-politiques se saisissant des diverses dimensions du rapport salarial (travail, statut, revenu, protection sociale,…) ? La crise n’est-elle pas, par exemple, même de façon contrainte, l’occasion de l’émergence de nouveaux rapports à la consommation (recyclage…), d’un questionnement sur le bien-fondé de l’actuelle division du travail (circuits courts dans le commerce…), du développement de nouvelles solidarités venant prendre le relais de l’Etat social (solidarités intra-générationnelles, associatives, informelles…) ? On pourra se demander quelles sont aujourd’hui les utopies qui nourrissent les débats sur l’avenir et/ou structurent d’ores et déjà de nouvelles pratiques : pensées nouvelles ou résurgences d’utopies contestataires du passé ?
Propositions de communication : avant le 15 octobre 2015
Envoi d’un résumé de 2500 signes maximum (espaces compris), présentant la problématique, le cadre théorique, les supports empiriques et les principaux résultats, avant le 15 octobre 2015. Ce résumé, rédigé de préférence en français (ou en espagnol, grec ou anglais), sera déposé sur la plate-forme Sciencesconf : il vous faut d’abord créer un compte sur cette plate-forme :
http://jist2016.sciencesconf.org/user/createaccount
En vous connectant au site des JIST, http://jist2016.sciencesconf.org, vous pourrez ensuite faire votre dépôt (Dépôts/Déposer un résumé) en recopiant votre texte rédigé dans le cadre prévu. Si besoin, vous pouvez acceder à une notice Aide au dépôt des résumés en cliquant ici.